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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tant toujours sous les yeux de Votre Altesse Royale ce qui me paraîtra la vérité.

« Je parlerai d’abord des prétendues conspirations dont le bruit sera peut-être parvenu jusqu’à Votre Altesse Royale. On affirme qu’elles ont été fabriquées ou provoquées par la police. Laissant de côté le fait, et sans insister sur ce que les conspirations (vraies ou fausses) ont en elles-mêmes de répréhensible, je me contenterai de remarquer que notre caractère national est à la fois trop léger et trop franc pour réussir à de pareilles besognes. Aussi, depuis quarante années, ces sortes d’entreprises coupables ont-elles constamment échoué. Rien de plus ordinaire que d’entendre un Français se vanter publiquement d’être d’un complot ; il en raconte tout le détail, sans oublier le jour, le lieu et l’heure, à quelque espion qu’il prend pour un confrère ; il dit tout haut, ou plutôt il crie aux passants : « Nous avons quarante mille hommes bien comptés, nous avons soixante mille cartouches, telle rue, numéro tant, dans la maison qui fait le coin. » Et puis ce Catilina va danser et rire.

« Les sociétés secrètes ont seules une longue portée, parce qu’elles procèdent par révolutions et non par conspirations ; elles visent à changer les doctrines, les idées et les mœurs, avant de changer les hommes et les choses ; leurs progrès sont lents, mais les résultats certains. La publicité de la pensée détruira l’influence des sociétés secrètes ; c’est l’opinion publique qui maintenant opérera en France ce que les congrégations occultes accomplissent chez les peuples non encore émancipés.