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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tion n’a rencontré ni vieux cloîtres, ni religieux, ni caveaux, ni tombes gothiques ; comme la terreur en 1793, il s’est promené d’un air moqueur, à la clarté du jour, dans un monde tout neuf, accompagné de son bulletin, qui racontait les remèdes qu’on avait employés contre lui, le nombre des victimes qu’il avait faites, où il en était, l’espoir qu’on avait de le voir encore finir, les précautions qu’on devait prendre pour se mettre à l’abri, ce qu’il fallait manger, comment il était bon de se vêtir. Et chacun continuait de vaquer à ses affaires, et les salles de spectacle étaient pleines. J’ai vu des ivrognes à la barrière, assis devant la porte du cabaret, buvant sur une petite table de bois et disant en élevant leur verre : « À ta santé, Morbus ! » Morbus, par reconnaissance, accourait, et ils tombaient morts sous la table. Les enfants jouaient au choléra, qu’ils appelaient le Nicolas Morbus et le scélérat Morbus. Le choléra avait pourtant sa terreur : un brillant soleil, l’indifférence de la foule, le train ordinaire de la vie, qui se continuait partout, donnaient à ces jours de peste un caractère nouveau et une autre sorte d’épouvante. On sentait un malaise dans tous les membres ; un vent du nord, sec et froid, vous desséchait ; l’air avait une certaine saveur métallique qui prenait à la gorge. Dans la rue du Cherche-Midi, des fourgons du dépôt d’artillerie faisaient le service des cadavres. Dans la rue de Sèvres, complètement dévastée, surtout d’un côté, les corbillards

    pas dû être faites, et il y a eu sans nul doute beaucoup d’omissions involontaires. — Voir, dans l’Époque sans nom, de M. A. Bazin (1833), tome II, pages 251-275, le chapitre sur le Choléra-morbus.