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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/538

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Il descend le cercueil et les roses sans taches
Qu’un père y déposa, tribut de sa douleur ;
Terre, tu les portas et maintenant tu caches
  Jeune fille et jeune fleur.

Ah ! ne les rends jamais à ce monde profane,
À ce monde de deuil, d’angoisse et de malheur ;
Le vent brise et flétrit, le soleil brûle et fane
  Jeune fille et jeune fleur.

Tu dors, pauvre Élisa, si légère d’années !
Tu ne sens plus du jour le poids et la chaleur.
Vous avez achevé vos fraîches matinées,
  Jeune fille et jeune fleur.

Mais ton père, Élisa, sur la tombe s’incline ;
De ton front jusqu’au sien a monté la pâleur.
Vieux chêne !… le temps a fauché sur ta racine
  Jeune fille et jeune fleur[1] !

Je commençais à me déshabiller ; un bruit de voix se fit entendre ; ma porte s’ouvre, et M. le préfet de police, accompagné de M. Nay[2], se présente. Il me fit mille excuses de la prolongation de ma détention au dépôt ; il m’apprit que mes amis, le duc de Fitz-James et le baron Hyde de Neuville, avaient été arrêtés comme moi[3], et que, dans l’encombrement de la préfecture, on ne savait où placer les personnes que la justice croyait devoir interpeller. « Mais, ajouta-t-il, vous allez venir chez moi, monsieur le vicomte, et vous choisirez dans mon appartement ce qui vous conviendra le mieux. »

  1. Voir l’Appendice no XII : Jeune fille et jeune fleur.
  2. M. Nay allait devenir le gendre de M. Gisquet.
  3. Pour les détails de l’arrestation de M. Hyde de Neuville, voy. ses Mémoires et Souvenirs, t. III, p. 494 et suivantes.