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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Savez-vous que je n’ai vu qu’une seule fois le comte Alfieri dans ma vie, et devineriez-vous comment ? Je l’ai vu mettre dans sa bière : on me dit qu’il n’était presque pas changé ; sa physionomie me parut noble et grave ; la mort y ajoutait sans doute une nouvelle sévérité ; le cercueil étant un peu trop court, on inclina la tête du mort sur sa poitrine, ce qui lui fit faire un mouvement formidable. »

Rien n’est triste comme de relire vers la fin de ses jours ce que l’on a écrit dans sa jeunesse : tout ce qui était au présent se trouve au passé.

J’aperçus un moment, en 1803, à Rome, le cardinal d’York[1], cet Henri IX, dernier des Stuarts, âgé de soixante-dix-neuf ans. Il avait eu la faiblesse d’accepter une pension de George III : la veuve de Charles Ier en avait en vain sollicité une de Cromwell. Ainsi, la race des Stuarts a mis cent dix-neuf ans à s’éteindre, après avoir perdu le trône qu’elle n’a jamais retrouvé. Trois prétendants se sont transmis dans l’exil l’ombre d’une couronne : ils avaient de l’intelligence et du courage ; que leur a-t-il manqué ? la main de Dieu.

  1. Henri-Benoît-Marie-Clément Stuart, duc d’York, second fils de Jacques III et de Marie-Clémentine Sobieski, petite-fille du libérateur de Vienne, né à Rome le 6 mars 1725, cardinal le 3 juillet 1747. En 1799, il prit part au conclave de Venise, et contribua à faire accepter comme secrétaire Consalvi, dont il avait encouragé les études et les débuts. À la mort de son frère Charles-Édouard (1788), se regardant comme roi légitime, il prit le titre d’Henri IX, Il mourut à Rome le 13 juillet 1807. Le monument qui recouvre à Saint-Pierre la tombe du cardinal et de son frère, et qui est l’œuvre de Canova, fut payé par le roi George IV.