Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/603

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
587
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de Saint-Leu se tirait fort bien de sa difficile position de reine et de demoiselle de Beauharnais.

Après le dîner, madame de Saint-Leu s’est mise à son piano avec M. Cottrau, grand jeune peintre à moustaches, à chapeau de paille, à blouse, au col de chemise rabattu, au costume bizarre. Il chassait, il peignait, il chantait, il riait, spirituel et bruyant[1].

Le prince Louis habite un pavillon à part, où j’ai vu des armes, des cartes topographiques et stratégiques ; industries qui faisaient, comme par hasard, penser au sang du conquérant sans le nommer : le prince Louis est un jeune homme studieux, instruit, plein d’honneur et naturellement grave.

Madame la duchesse de Saint-Leu m’a lu quelques fragments de ses mémoires : elle m’a montré un cabi-

    blissement de l’Empire, il vota contre. À sa mort (19 mai 1857), il défendit, par une clause de son testament, de porter son corps à l’église.

  1. M. Cottrau était un ami du prince Louis, et il ne quittait guère Arenenberg. À l’époque où il exerçait les fonctions de capitaine dans l’artillerie suisse, le prince s’éprit de la veuve d’un planteur mauricien, Madame S…, habitant un château voisin, et il demanda sa main sans pouvoir l’obtenir. Les choses prirent une tournure assez sérieuse pour que la reine Hortense, opposée à ce mariage, se décidât à faire partir son fils, afin de changer le cours de ses idées. Louis-Napoléon se rendit en Angleterre, accompagné de M. Cottrau. En quittant Arenenberg, il pleurait ; il paraissait inconsolable. Durant le voyage, il tira souvent de la poche de son habit une miniature, portrait de la dame de ses pensées ; il ne pouvait se lasser de le regarder. Les deux jeunes gens passèrent quelque temps à Londres. Quand ils revinrent en Suisse, la cure prescrite par la reine Hortense avait réussi à souhait. M. Cottrau, faisant, suivant son habitude, la visite des tiroirs avant de quitter l’hôtel, trouva dans un secrétaire, où il eut soin de la laisser, la miniature de la belle mauricienne. — La marquise de Crenay, une amie de la reine Hortense et de Napoléon III, par H. Thirria, p. 19.