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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Le 1er  avril 1832, la Némésis cessait de paraître. Le poète détendait son arc ; mais c’était, disait-il, pour le reprendre bientôt ; après un peu de repos, ses forces une fois revenues, il descendrait de nouveau dans l’arène :

Je prendrai de nouveau le casque et la cuirasse ;
Dans l’arène battue où j’imprimai ma trace,
Je viendrai, comme Entelle, aux yeux des combattants,
Raidir un bras connu qui combattit sept ans[1].

Hélas ! c’était pour toujours que l’athlète avait déposé son ceste : cæ̯æ̯stus artemque repono. Le public, en effet, n’allait pas tarder à apprendre que l’auteur de Némésis, après avoir vidé son carquois, travaillait, dans une paisible retraite, à une traduction en vers de l’Énéide, pour laquelle le ministère lui avait donné un encouragement de quatre-vingt mille francs. Barthélémy essaya de se justifier ; sa Justification se perdit au milieu du bruit des protestations indignées. Il n’en devait rester que ce vers :

L’homme absurde est celui qui ne change jamais.

Plus tard, il essaiera de revenir à la satire. Il publiera la Nouvelle Némésis (1844-1845) ; le Zodiaque (1846), etc. Un méprisant silence accueillera ces vaines tentatives. Sa voix ne trouvera plus d’écho. Cet homme qui avait tant aimé le bruit et qui avait presque touché à la gloire, sera condamné pendant vingt ans à rechercher l’obscurité, à fuir la foule, à ne sortir que le soir, pareil maintenant à l’homme qui avait perdu son ombre. — Barthélémy est mort le 23 août 1867.

  1. Némésis, Épilogue.