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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

XI

L’ARRESTATION DE CHATEAUBRIAND[1].

Bien loin d’encourager la duchesse de Berry dans son aventureuse entreprise, Chateaubriand, nous l’avons vu (Appendice no X), avait fait, au contraire, tous ses efforts pour la détourner de sa prise d’armes ; n’ayant pu y réussir, il l’avait suppliée de sortir de France le plus promptement possible. Mais cela, la police l’ignorait ; il était dès lors naturel qu’elle le tînt pour suspect et qu’elle exerçât sur lui une active surveillance. IL prit gaiement la chose, comme on le peut voir par cette jolie lettre, adressée au rédacteur de La Quotidienne :

Paris, ce 4 juin 1832.
Monsieur,

Je viens de lire dans votre journal l’interrogatoire subi par M. le vicomte de Touchebœuf ; mon nom s’y trouve mêlé. Je ne puis m’empêcher de m’ébahir de la niaiserie des bonnes gens qui, me voyant écrire tous les jours ce que je pense, déclarer à la face du soleil que je ne reconnais point l’ordre politique actuel, parce qu’il ne tire son droit ni de l’ancienne monarchie, ni de la souveraineté du peuple, lequel peuple n’a point été assemblé et consulté ; je ne puis, dis-je, m’empêcher de m’ébahir de cette niaiserie qui s’évertue à découvrir mon opinion dans des correspondances secrètes ; je n’ai point de correspondances secrètes ; si j’en avais, elles ne diraient rien de plus, rien de moins que ce que j’imprime dans mes correspondances avec le public.

Quand j’affirme, Monsieur, que je n’ai point de correspondances secrètes, cela ne veut pas dire que je n’ai écrit à personne dans ces derniers temps, et pour peu que la police veuille bien encore attendre quelques jours, je lui éviterai la peine de déterrer mes lettres privées. Si elle m’honorait d’une visite domiciliaire, je la conduirais moi-même à ma cachette ; je lui livrerais les preuves du délit, à la condition qu’elle les insérât le

  1. Ci-dessus, p. 512.