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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

jours de concert et de bal on pourrait se croire à Paris. L’Altieri, la Palestrina, la Zagarola, la Del Drago[1], la Lante[2], la Lozzano, etc., ne seraient pas étrangères dans les salons du faubourg Saint-Germain ; pourtant quelques-unes de ces femmes ont un certain air effrayé qui, je crois, est du climat. La charmante Falconieri, par exemple, se tient toujours auprès d’une porte, prête à s’enfuir sur le mont Marius, si on la regarde ; la villa Millini[3] est à elle ; un roman placé dans ce casin abandonné, sous des cyprès, à la vue de la mer, aurait son prix.

Mais, quels que soient les changements de mœurs et de personnages de siècle en siècle en Italie, on y remarque une habitude de grandeur, dont nous autres, mesquins barbares, n’approchons pas. Il reste encore à Rome du sang romain et des traditions des maîtres du monde. Lorsqu’on voit des étrangers entassés dans de petites maisons nouvelles à la porte du Peuple, ou gités dans des palais qu’ils ont divisés en cases et percés de cheminées, on croirait voir des rats gratter au pied des monuments d’Apollodore et de Michel-Ange, et faisant, à force de ronger, des trous dans les pyramides.

Aujourd’hui les nobles romains, ruinés par la révolution, se renferment dans leurs palais, vivent avec

  1. La princesse Del Drago.
  2. La duchesse Lante.
  3. Et non Mellini, comme on l’a imprimé dans les éditions précédentes. C’est dans la Villa Millini, hors des murs de Rome, que le général Alexandre Berthier (le futur prince de Wagram et de Neuchâtel) reçut, le 11 février 1798 (23 pluviôse an VI), les avocats, les banquiers et les artistes qui devaient constituer la nouvelle République romaine.