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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Heyden[1] dans la Méditerranée, jeter quelques ingénieurs et quelques soldats dans Constantinople, porter dans cette capitale des provisions de bouche et des munitions de guerre, pénétrer dans la mer Noire, bloquer les ports de la Crimée, priver les troupes russes en campagne de l’assistance de leurs flottes commerciales et militaires ?

« Supposons tout cela accompli (ce qui d’abord ne se peut faire sans des dépenses considérables, lesquelles n’auraient ni dédommagement ni garantie), resterait toujours à Nicolas son immense armée de terre. Une attaque de l’Autriche et de l’Angleterre contre la Croix en faveur du Croissant augmenterait en Russie la popularité d’une guerre déjà nationale et religieuse. Des guerres de cette nature se font sans argent, ce sont celles qui précipitent, par la force de l’opinion, les nations les unes sur les autres. Que les papas commencent à évangéliser à Saint-Pétersbourg, comme les ulémas mahométisent à Constantinople, ils ne trouveront que trop de soldats ; ils auraient plus de chance de succès que leurs adversaires dans cet appel aux passions et aux croyances des hommes. Les invasions qui descendent du nord au midi sont bien plus rapides et bien plus irrésistibles que celles qui gravissent du midi au nord : la pente des populations les incline à s’écouler vers les beaux climats.

« La Prusse demeurerait-elle spectatrice indifférente de cette grande lutte, si l’Autriche et l’Angle-

  1. Le vice-amiral comte de Heyden commandait l’escadre russe dans la Méditerranée.