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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ni menacés dans leur vie ? Encore une fois, la royauté n’est point une propriété privée, c’est un bien commun, indivis, et des tiers sont engagés dans la fortune du trône. Je craignais que, dans les troubles inséparables du malheur, la royauté n’eût point aperçu ces vérités et n’eût rien fait pour y revenir en temps utile.

D’un autre côté, tout en reconnaissant les avantages immenses de la loi salique, je ne me dissimulais pas que la durée de race a quelques graves inconvénients pour les peuples et pour les rois : pour les peuples, parce qu’elle mêle trop leur destinée avec celle des rois ; pour les rois, parce que le pouvoir permanent les enivre ; ils perdent les notions de la terre : tout ce qui n’est pas à leurs autels, prières prosternées, humbles vœux, abaissements profonds, est impiété. Le malheur ne leur apprend rien ; l’adversité n’est qu’une plébéienne grossière qui leur manque de respect, et les catastrophes ne sont pour eux que des insolences.

Je m’étais heureusement trompé : je n’ai point trouvé Charles X dans ces hautes erreurs qui naissent au faîte de la société ; je l’ai trouvé seulement dans les illusions communes d’un accident inattendu, et qui sont plus explicables. Tout sert à consoler l’amour-propre du frère de Louis XVIII : il voit le monde politique se détruire, et il attribue avec quelque raison cette destruction à son époque, non à sa personne : Louis XVI n’a-t-il pas péri ? la République n’est-elle pas tombée ? Bonaparte n’a-t-il pas été contraint d’abandonner deux fois le théâtre de sa gloire et n’est-il pas allé mourir captif sur un écueil ? Les trônes de l’Europe ne sont-