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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/441

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Louis XVIII ; moi-même, comme tous les badauds, n’ai-je pas été assez niais pour donner dans cette fable ! Mieux renseigné, j’ai connu que M. de Talleyrand n’était point un Warwick politique : la force qui abat et relève les trônes manquait à son bras.

De benêts impartiaux disent : « Nous en convenons, c’était un homme bien immoral ; mais quelle habileté ! » Hélas ! non. Il faut perdre encore cette espérance, si consolante pour ses enthousiastes, si désirée pour la mémoire du prince, l’espérance de faire de M. de Talleyrand un démon.

Au delà de certaines négociations vulgaires, au fond desquelles il avait l’habileté de placer en première ligne son intérêt personnel, il ne fallait rien demander à M. de Talleyrand.

M. de Talleyrand soignait quelques habitudes et quelques maximes à l’usage des sycophantes et des mauvais sujets de son intimité. Sa toilette en public, copiée sur celle d’un ministre de Vienne, était le triomphe de sa diplomatie. Il se vantait de n’être jamais pressé ; il disait que le temps est notre ennemi et qu’il le faut tuer : de là il faisait état de ne s’occuper que quelques instants.

Mais comme, en dernier résultat, M. de Talleyrand n’a pu transformer son désœuvrement en chef-d’œuvre, il est probable qu’il se trompait en parlant de la nécessité de se défaire du temps : on ne triomphe du temps qu’en créant des choses immortelles ; par des travaux sans avenir, par des distractions frivoles, on ne le tue pas : on le dépense.

Entré dans le ministère[1] à la recommandation de

  1. Talleyrand fut nommé ministre des relations extérieures, le