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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

qui portait en elle un esprit abondant, des connaissances acquises, des germes de succès de toutes sortes, les a étouffés dans une inquiétude aussi improductive que sa superbe est stérile. Des multitudes sans nom s’agitent sans savoir pourquoi, comme les associations populaires du moyen âge : troupeaux affamés qui ne reconnaissent point de berger, qui courent de la plaine à la montagne et de la montagne à la plaine, dédaignant l’expérience des pâtres durcis au vent et au soleil. Dans la vie de la cité tout est transitoire : la religion et la morale cessent d’être admises, ou chacun les interprète à sa façon. Parmi les choses d’une nature inférieure, même en puissance de conviction et d’existence, une renommée palpite à peine une heure, un livre vieillit dans un jour, des écrivains se tuent pour attirer l’attention ; autre vanité : on n’entend pas même leur dernier soupir.

De cette prédisposition des esprits il résulte qu’on n’imagine d’autres moyens de toucher que des scènes d’échafaud et des mœurs souillées : on oublie que les vraies larmes sont celles que fait couler une belle poésie et dans lesquelles se mêle autant d’admiration que de douleur ; mais à présent que les talents se nourrissent de la Régence et de la Terreur, qu’était-il besoin de sujets pour nos langues destinées si tôt à mourir ? Il ne tombera plus du génie de l’homme quelques-unes de ces pensées qui deviennent le patrimoine de l’univers.

Voilà ce que tout le monde se dit et ce que tout le monde déplore, et cependant les illusions surabondent, et plus on est près de sa fin et plus on croit vivre. On aperçoit des monarques qui se figurent être