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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de Wurtemberg, la Bavière entière, on ne m’a pas fait la moindre difficulté. Sur la simple déclaration de mon nom, on n’a pas même déployé mon passe-port. — Avez-vous un caractère public ? — J’ai été ministre en France, ambassadeur de Sa Majesté très-chrétienne à Berlin, à Londres et à Rome. Je suis connu personnellement de votre souverain et du prince de Metternich. — Vous ne passerez pas. — Voulez-vous que je dépose un cautionnement ? Voulez-vous me donner une garde qui répondra de moi ? — Vous ne passerez pas. — Si j’envoie une estafette au gouvernement de Bohême ? — Comme vous voudrez. »

La patience me manqua ; je commençai à envoyer le douanier à tous les diables. Ambassadeur d’un roi sur le trône, peu m’eût importé quelques heures de perdues ; mais ambassadeur d’une princesse dans les fers, je me croyais infidèle au malheur, traître envers ma souveraine captive.

L’homme écrivait : le Bâlois ne traduisait pas mon monologue, mais il y a des mots français que nos soldats ont enseignés à l’Autriche et qu’elle n’a pas oubliés. Je dis à l’interprète : « Explique-lui que je me rends à Prague pour offrir mon dévouement au roi de France. » Le douanier, sans interrompre ses écritures, répondit : « Charles X n’est pas pour l’Autriche le roi de France. » Je répliquai : « Il l’est pour moi. » Ces mots rendus au Cerbère parurent lui faire quelque effet ; il me regarda de côté et en dessous. Je crus que sa longue annotation serait en dernier résultat un visa favorable. Il barbouille encore quelque chose sur le passe-port d’Hyacinthe, et rend le