Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/554

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
538
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Pour trouver un bien facile
Qui nous vient d’être arraché,
Par quel chemin difficile
Hélas ! nous avons marché !
Dans une route insensée
Notre âme en vain s’est lassée,
Sans se reposer jamais,
Fermant l’œil à la lumière
Qui nous montrait la carrière
De la bienheureuse paix !

Mme de Maintenon, parvenue au faîte des grandeurs, écrivait à son frère : « Je n’en puis plus, je voudrais être morte. » Elle écrivait à Mme de La Maisonfort : « Ne voyez-vous pas que je meurs de tristesse… j’ai été jeune et jolie ; j’ai goûté des plaisirs… et je vous proteste que tous les états laissent un vide affreux. » Mme de Maintenon s’écriait : « Quel supplice d’avoir à amuser un homme qui n’est plus amusable ! » On a fait un crime à la fille d’un simple gentilhomme, à la veuve de Scarron, de parler ainsi de Louis XIV, qui l’avait élevée jusqu’à son lit ; moi, j’y trouve l’accent d’une nature supérieure, au-dessus de la haute fortune à laquelle elle était parvenue. J’aurais seulement préféré que Mme de Maintenon n’eût pas quitté Louis XIV mourant, surtout après avoir entendu ces tendres et graves paroles : « Je ne regrette que vous ; je ne vous ai pas rendue heureuse, mais tous les sentiments d’estime et d’amitié que vous méritez, je les ai toujours eus pour vous ; l’unique chose qui me fâche, c’est de vous quitter[1]. »
Les dernières années de ce monarque furent une expiation offerte aux premières. Dépouillé de sa prospérité et de sa famille, c’est de cette fenêtre qu’il promenait ses yeux sur ce jardin. Il les fixait sans doute sur ce conducteur des eaux déjà abandonné depuis vingt ans ; grandes ruines, images des ruines du grand roi, elles semblaient lui prédire le tarissement de sa race et attendre son arrière petit-fils. Le temps où Le Nôtre dessinait pour Mme de La Vallière les jardins de Versailles n’était plus ; ils étaient aussi passés, plus d’un siècle auparavant, les jours d’Olivier de Serres, lequel disait à Henri IV, projetant des jardins pour Gabrielle : « On peut cultiver les cannes du sucre, afin qu’accouplées avec l’oranger et ses compagnons, le jardin soit parfaitement anobli et rendu du tout magnifique. »
  1. « Le reproche que M. de Chateaubriand, après tant d’autres, adresse ici à Mme de Maintenon, a cessé de peser sur la mémoire de cette femme illustre, depuis qu’on a publié la Relation de la dernière maladie de Louis XIV par le marquis de Dangeau » (Note de Mme Lenormant).