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Page:Chateaubriand - Oeuvres de Lucile de.djvu/29

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lucile de chateaubriand

Cependant, Monsieur le Chevalier était devenu un homme ou presque, c’est-à-dire qu’il en avait toutes les passions, et pas un grain de raison pour les dominer : « J’étais, dit-il, agité d’un désir de bonheur que je ne pouvais ni régler, ni comprendre ; mon esprit et mon cœur s’achevaient de former comme deux temples vides, sans autels et sans sacrifices ; on ne savait encore quel Dieu y serait adoré. Je croissais auprès de ma sœur Lucile ; notre amitié était toute notre vie.

« Lucile était grande et d’une beauté remarquable mais sérieuse. Son visage pâle était accompagné de longs cheveux noirs : elle attachait souvent au ciel ou promenait autour d’elle des regards pleins de tristesse ou de feu. Sa démarche, sa voix, son sourire, sa physionomie avaient quelque chose de rêveur et de souffrant.

« Lucile et moi nous nous étions inutiles. Quand nous parlions du monde, c’était de celui que nous portions au-dedans de nous et qui ressemblait bien peu au monde véritable. Elle voyait en moi son protecteur, je voyais en elle mon amie. Il lui prenait des accès de pensées noires que j’avais peine à dissiper : à dix-sept ans, elle déplorait la perte de ses