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LIVRE DEUXIÈME

un homme mort ! » Une jeune fille, cachée avec son amant dans de hautes bruyères, avait été témoin d’un meurtre. D’un autre côté, à demi vêtue, la veuve de Courier (c’était lui dont on avait retrouvé le cadavre), âgée de vingt-deux ans, descend la nuit parmi des personnages rustiques comme une ombre délivrée. Les opinions de Courier à Véretz avaient réduit son intimité à des rivalités inférieures : chagrins qui n’intéressent personne, gémissements qui vont se perdre dans l’Océan muet qui s’avance sur nous. Peut-être quelque grive redit-elle l’acte tragique dans les bois où Rancé avait promené ses misères. Courier avait écrit dans sa Gazette du Village : « Les rossignols chantent et l’hirondelle arrive. » Enfant d’Athènes, il transmettait à ses camarades le chant du retour de l’hirondelle.

Courier, savant helléniste, esprit tumultueux, pamphlétaire à cheval, avait eu le malheur à Florence de tacher d’encre un feuillet de Longus : ensuite l’éditeur d’un passage perdu de Daphnis et Chloé était venu s’ensevelir dans les lieux qu’avait habités l’éditeur d’Anacréon.

Si les arbres sous lesquels fut tué Courier existent encore, qu’est-il resté dans ces ombrages, que reste-t-il de nous partout où nous passons ?