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VIE DE RANCÉ

vant lui il n’avait qu’un prêtre étranger, méprisé, haï, et il ne le renversa pas : le moindre de nos révolutionnaires eût brisé dans une heure ce qui arrêta Retz toute sa vie. Le prétendu homme d’État ne fut qu’un homme de trouble. Celui qui joua le grand rôle était Mazarin ; il brava les orages enveloppé dans la pourpre romaine : obligé de se retirer en face de la haine publique, il revint par la passion fidèle d’une femme, et nous amenant Louis XIV par la main.

Le coadjuteur finit ses jours en silence, vieux réveille-matin détraqué. Réduit à lui-même et privé des événements, il se montra inoffensif : non qu’il subît une de ces métamorphoses avant-coureurs du dernier départ, mais parce qu’il avait la faculté de changer de forme comme certains scarabées vénéneux. Privé du sens moral, cette privation était sa force. Sous le rapport de l’argent il fut noble ; il paya les dettes de sa royauté de la rue, par la seule raison qu’il s’appelait M. de Retz. Peu lui importait du reste sa personne : ne s’est-il pas exposé lui-même au coin de la borne ? On le pressait de dicter ses aventures, et le romancier transformé en politique les adresse à une femme sans nom, chimère de ses corruptions idéalisées : « Madame, quelque répugnance que