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LIVRE QUATRIÈME

— Et pourquoi ? dit saint Dorothée, est-ce que vous avez faim ? — Oui, mon père, répondit-il ; ce que l’on donne à la table commune ne me suffit pas. » On doubla pitance du solitaire, et il dérobait toujours. Ce pauvre frère savait que le larcin est un péché, il en pleurait, et toutefois il se laissait entraîner.

D’Andilly n’avait laissé à Rancé que l’histoire de Dorothée à traduire : c’était un mauvais grec d’Asie du troisième siècle, difficile à entendre, et dont il n’existait qu’une paraphrase infidèle. J’ai vu entre Jaffa et Gaza le désert qu’avait habité Dorothée : il n’y avait point les soixante dix palmiers et les douze fontaines.

Une suite de souffrances renouvelées obligèrent enfin Rancé de se démettre de son abbaye. On était si abattu sous la majesté de Louis XIV, que des solitaires mêmes ne se pouvaient empêcher de faire entendre le langage de la flatterie usité à Versailles. Ce n’était pas chose si aisée qu’on se l’imagine que de faire agréer la démission d’un trappiste ; derrière cette démission se reproduisait la question de l’abbé commendataire ou de l’abbé régulier. La sainteté inspirait à Rancé une adresse particulière sitôt que se renouvelaient des contestations : le chef de l’ordre de Cîteaux en