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LIVRE DEUXIÈME

l’évêque parlait sérieusement, le pressa avec cette vivacité qui lui était naturelle de lui faire voir ces endroits. — Je m’en garderai bien, reprit l’évêque ; ces endroits sont si tentants que si vous y étiez une fois il n’y aurait plus moyen de vous en arracher. » Après avoir visité l’évêque de Comminges Rancé retourna chez l’évêque d’Aleth. « Sa demeure est affreuse, écrivait Rancé, et entourée de hautes montagnes au pied desquelles est un torrent qui court avec beaucoup de bruit et de rapidité. »

Ces endroits de nos anciennes mœurs reposent. On aime à assister aux conversations de l’abbé de Rancé sur la légitimité des biens qu’on peut ou qu’on ne peut pas retenir, sur ce qu’il est permis de garder, sur ce qu’on est obligé de rendre, sur le compte de ses richesses que l’on doit à Dieu. Ces scrupules de conscience étaient alors les affaires principales ; nous n’allons pas à la cheville du pied de ces gens-là ; l’homme était estimé, quelle que fût sa condition : le pauvre était pesé avec le riche au poids du sanctuaire. Cette égalité morale lui servait à supporter les inégalités politiques. Bruno sur les Alpes, Paul dans la Thébaïde, ne voulurent pas plus sortir de leur retraite que Rancé n’aurait voulu quitter les Pyrénées ; mais ces dernières