Page:Chateaubriand - Voyage en Italie, édition 1921.djvu/150

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quelques merles. Les fragments de maçonnerie étaient tapissés de feuilles de scolopendre, dont la verdure satinée se dessinait comme un travail en mosaïque sur la blancheur des marbres. Çà et là de hauts cyprès remplaçaient les colonnes tombées dans ce palais de la mort ; l’acanthe sauvage rampait à leurs pieds, sur des débris, comme si la nature s’était plu à reproduire sur les chefs-d’œuvre mutilés de l’architecture l’ornement de leur beauté passée. Les salles diverses et les sommités des ruines ressemblaient à des corbeilles et à des bouquets de verdure, le vent agitait les guirlandes humides, et toutes les plantes s’inclinaient sous la pluie du ciel.

Pendant que je contemplais ce tableau, mille idées confuses se pressaient dans mon esprit : tantôt j’admirais, tantôt je détestais la grandeur romaine ; tantôt je pensais aux vertus, tantôt aux vices de ce propriétaire du monde, qui avait voulu rassembler une image de son empire dans son jardin. Je rappelais les événements qui avaient renversé cette villa superbe ; je la voyais dépouillée de ses plus beaux ornements par le successeur d’Adrien ; je voyais les barbares y passer comme un tourbillon, s’y cantonner quelquefois, et, pour se défendre dans ces mêmes monuments qu’ils avaient à moitié détruits, couronner l’ordre grec et toscan du créneau gothique ; enfin, des religieux chrétiens, ramenant la civilisation dans ces