Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/109

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tant le sang était monté à son visage.
Aussitôt on le porta hors de l’enceinte
en grand deuil jusqu’au palais de Thésée.
Puis on le dévêtit en coupant son harnois ;
on le mit en un lit bien honnêtement et promptement,
car il avait encore ses sens et vivait,
et toujours appelait Émilie.

2700Le duc Thésée avec toute sa compagnie
est revenu chez lui à Athènes sa cité
en toute allégresse et grande solennité.
Bien que cette aventure fut advenue,
il ne voulait pas les déconforter tous.
On disait d’ailleurs qu’Arcite ne mourrait pas,
qu’il guérirait de son mal.
D’autre chose encore ils étaient contents,
c’est qu’aucun d’eux tous n’était tué,
encore que tous fussent fort blessés, un surtout
2710qui d’une lance fut percé au sternum.
Pour les autres plaies et bras cassés,
aucuns avaient onguents, autres avaient charmes.
Potions d’herbes et de sauge aussi
ils burent, car ils voulaient garder leurs membres.
Auquel propos ce noble duc, ainsi qu’il sait faire,
réconforte et honore chaque homme,
et fit fête toute la nuit
aux seigneurs étrangers, comme il convenait.
Et l’on n’estimait pas qu’il y avait eu des déconfits
2720mais seulement une joute et un tournoi ;
car en vérité il n’y eut nulle déconfiture ;
car tomber n’est qu’une mésaventure ;
et être emmené de force au poteau
sans se rendre, être pris par vingt chevaliers,
quand on est seul sans personne autre,
et qu’on vous tire bras, pied et orteil,
qu’on a son cheval poussé à coups d’épieus
par les piétons, tant archers que valets,
cela n’était point imputé a vilenie,
2730car nul ne peut nommer cela couardise.