je ne la dirai à nul autre sûrement. »
Le charpentier descend et puis revient
apportant un grand pot de bière forte ;
et lorsque chacun d’eux eût bu sa part,
Nicolas, sa porte bien fermée,
fit asseoir près de lui le charpentier.
Il dit : « Jean, mon bon et cher hôte,
il faut que tu me jures ici sur ta foi
que tu ne trahiras ce secret à personne,
c’est le secret du Christ que je te dis
et si tu le dis à quiconque, tu es perdu ;
cette vengeance s’ensuivra
que, si tu me trahis, tu deviendras fou. »
— « Non, Christ m’en garde, par son sacré sang,
(dit notre sot bonhomme), je ne suis mie bavard,
et quoique ce soit moi qui le dise, je n’aime pas à jaser.
Dis ce que tu voudras, jamais je ne le raconterai
à enfant ni femme, par Celui qui vainquit l’enfer ! »
— « Or çà, Jean, (dit Nicolas), je ne veux mentir ;
j’ai découvert dans mon astrologie,
en regardant la lune brillante,
que lundi prochain, au quart de la nuit,
il tombera pluie si violente et si furieuse
que le déluge de Noé ne fut de moitié si fort.
Tout ce monde, (dit-il), en moins d’une heure,
sera submergé, tant l’averse sera affreuse ;
ainsi le genre humain sera noyé et perdra la vie. »
Le charpentier répondit : « Las ! ma femme !
Sera-t-elle donc noyée aussi ? hélas ! mon Alison ! »
Du chagrin de ceci il tomba presque par terre
et dit : « N’y a-t-il point remède en cette affaire ? »
— « Mais oui, par Dieu (dit le gracieux Nicolas),
si tu veux écouter science et bon conseil ;
car tu ne dois point écouter ta propre tête.
Car Salomon, dit ceci, lui qui était toute vérité :
Prends conseil en tout, tu ne t’en repentiras.
Et si tu veux suivre bon conseil,
je t’en réponds, sans mât ni voile,
malgré tout je sauverai et elle, et toi, et moi.
N’as-tu point appris comment fut sauvé Noé,
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