Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/142

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Quatre charbons sont là, que je vais vous nommer :
Vantardise, mensonge, colère et convoitise ;
et ces quatre étincelles sont le lot de vieillesse.
Nos vieux membres sont gourds, oui, cela se peut bien,
mais vouloir ne prétend défaillir, ah bien, non.
Et je me sens encore, moi, ma dent de poulain,
malgré les nombreux ans qui sont passés depuis
3890 que se prit à couler le fausset de ma vie ;
car, sitôt né, bien sûr, sans attendre, la mort
a tiré le fausset par où ma vie s’en va,
et, depuis, le fausset coule et coule si bien
que tout près d’être vide est enfin le tonneau ;
et mon filet de vie découle sur le jable.
Bien peut la sotte langue sonner, carillonner
les folies qui depuis de longs jours sont passées.
Hormis le radotage, chez les vieux, plus rien n’est. »

Aussitôt que notre hôte eut oui ce beau prêche,
3900 du ton impérieux d’un roi il répliqua.
Il dit : « À quoi donc riment tous ces sages discours ?
Devrons-nous tout le jour gloser sur l’Évangile ?
C’est le diable qui fit prêcher un intendant,
comme il fait savetier pilote ou médecin.
Dis-nous donc ton histoire sans gaspiller le temps.
Voici venir Deptford, et il est demi-prime[1].
Voici venir Greenwich, où hante maint gredin.
Il serait temps, grand temps d’entamer ton histoire ! »

« Or donc, messires, dit Oswald l’intendant,
3910 je vous demande en grâce à tous qu’il ne vous peine
que je réponde et lui baille quelques nasardes ;
car opposer la force à la force, c’est justice.
Ce meunier ivre nous a ici conté
comment fut engeigné certain charpentier,
possible, pour me railler, car j’en suis un, moi.
Et, par votre congé, il va me le payer.
Je veux tout comme lui user de mots vilains[2].
Fasse Dieu, je l’en prie, qu’il se rompe le cou.

  1. C’est-à-dire sept heures et demie du matin.
  2. Ces « mots vilains », nous avons cru devoir les atténuer un peu.