Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/144

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Le curé de l’endroit était père d’icelle.
Avec elle il donna force poêle d’airain
pour que ledit Sinquin entrât dans sa famille.
La damoiselle fut élevée au couvent,
Car Sinquin ne voulait, disait-il, prendre femme
qui ne fût élevée décemment et pucelle,
afin de bien tenir son rang de Yeoman[1].
3950 Elle était orgueilleuse, effrontée comme pie.
C’était un beau spectacle à voir que ces deux-là.
Les dimanches et fêtes il allait devant elle,
sa cornette[2] enroulée tout autour de son cou,
et elle le suivait, qui portait robe rouge ;
rouges étaient aussi les chausses de Sinquin.
Nul n’osait l’appeler d’un autre nom que « dame ».
Nul n’était si hardi, parmi ceux qui passaient,
Qu’il osât folâtrer ni jouer avec elle,
s’il ne voulait se faire massacrer par Sinquin
3960 à coups de dague, à coups de couteau, de stylet ;
car toujours les jaloux sont dangereuse espèce —
du moins ont-ils désir que leur femme le croie.
Elle, de son côté, qui avait sa souillure[3],
était une puante, puant comme eau croupie ;
elle était méprisante, elle était insultante.
La plus noble, à son gré, lui devait des égards,
tant pour sa parenté que pour l’éducation
qu’elle avait reçue au couvent.

Ces époux à eux deux possédaient une fille
3970 de vingt ans, sans autre famille
qu’un enfant âgé de six mois.
Il était au berceau et c’était un beau gars,
La jouvencelle était et potelée et drue,
le nez camus, les yeux gris comme verre,
la croupe large et les seins ronds et hauts,
cheveux bien blonds d’ailleurs, à ne vous point mentir.

Le curé de l’endroit, parce qu’elle était belle,
était dans le dessein de la faire héritière

  1. Vassal, aurait-on dit alors en France.
  2. Pièce d’étoffe qui tombait du chaperon.
  3. Son illégitimité.