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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/16

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rience. Sans quoi il n’aurait été qu’un pionnier pour les poètes anglais à venir mais n’aurait lui-même rien laissé qui portât vraiment son empreinte. Ses succès incomplets, ses ébauches, ses découragements mêmes, lui avaient heureusement révélé, avec sa nature, le caractère de l’œuvre personnelle qu’il était fait pour créer. Il ne s’agissait plus d’un simple remaniement de livre étranger. Ce ne serait non plus ni une allégorie, ni une idéalisation à outrance. Ce serait avant tout un poème d’observation et de diversité.

Mais, au fait, pourquoi rejeter dédaigneusement tout ce qu’il avait déjà traduit ou inventé ? Parmi les œuvres de courte haleine que contenaient ses manuscrits, il en était plusieurs qui pouvaient, prises à part, lui paraître bien étroites, étant l’émanation chacune de quelque heure exclusive de sa vie, celle-ci écrite dans un jour de piété, celle-là de romanesque, cette autre de gauloiserie. Mais, réunies, ne composaient-elles pas déjà un curieux ensemble dont la monotonie était bien le moindre défaut ? Il y avait là une histoire de Grisélidis traduite en stances de la prose latine de Pétrarque, qu’il avait peut-être entendu lire à l’humaniste lui-même à Padoue, — et c’était sans doute une exaltation quintessenciée de la patience féminine, d’un sentimentalisme sans défaillance ; — mais il y avait aussi un monologue de certaine commère de Bath qui en était bien la contre-partie comique la plus tranchante ; tout le bien comme tout le mal qui peut être pensé ou dit de la femme tenait dans ces deux poèmes antithétiques. Chaucer trouvait encore dans ses tiroirs, mises par lui en anglais, des parties de sermons sur la pénitence et sur les sept péchés capitaux, une pieuse homélie en vers sur la vie de sainte Cécile, un conte moral en prose sur les vertus de dame Prudence, scolastique épouse de Mellibée, traduit d’Albertano de Brescia à travers Jean de Meung. En regard de ces ouvrages édifiants, il possédait à n’en pas douter plus d’un fabliau salé. Il avait aussi l’ébauche d’un roman de chevalerie sur la rivalité de Palamon et d’Arcite, tiré de la Théséide de Boccace et l’adaptation rimée d’une allégorie de Nicolas Trivet sur les épreuves de dame Constance, laquelle figurait le christianisme. Et quoi encore ? Nous pouvons plutôt conjecturer que