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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/160

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soit par inadvertance pendant nos veilles,
comme fait le cours d’eau qui jamais ne revient en arrière
lorsqu’il descend de la montagne à la plaine.
Sénèque peut avec raison, ainsi que maint philosophe,
pleurer le temps, plus que l’or mis en coffre.
« Car perte de richesses peut se réparer,
mais perte de temps nous ruine, » dit-il.
Il ne saurait revenir sans aucun doute,
30non plus que le pucelage de Margot
quand elle l’a perdu en son dévergondage.
Ne moisissons pas de la sorte dans l’oisiveté.
Messire légiste, (dit-il,) par votre bonheur à venir,
racontez-nous tout de suite une histoire, comme il est convenu.
Vous vous êtes soumis de votre plein gré
à ma décision en cas pareil.
Exécutez-vous et tenez votre promesse.
Vous aurez alors du moins fait votre devoir. »
« Hôte, dit-il, de par Dieu ![1], j’y consens.
40Violer une convention, ce n’est pas mon dessein ;
promesse est dette et bien volontiers je tiendrai
toute ma promesse ; je ne puis mieux dire.
Car la loi que l’homme impose à autrui,
il doit à lui-même en droit l’appliquer.
Ainsi le veut notre texte. Néanmoins il est certain
que sur l’heure je ne puis dire nul conte profitable
que Chaucer — encore qu’il s’y connaisse médiocrement
en mètres et en rimes habiles, —
n’ait dit en tel anglais qu’il sait,
50il y a beau temps, comme plus d’un en a connaissance.
Et s’il ne les a pas dits, ces contes, cher frère,
dans un livre, il les a dits dans un autre,
car il a parlé d’amoureux, en long et en large,
plus qu’Ovide n’en a cité
dans ses Epîtres qui sont fort anciennes.
Pourquoi les conterais-je puisqu’ils ont été contés ?
Dans sa jeunesse il a chanté Geys et Alcyone[2],
et depuis il a parlé en particulier de chacun,
nobles épouses et amoureux aussi.

  1. En français dans le texte.
  2. Dans son poème The Book of the Duchesse.