Prologue du Moine.
Quand j’eus achevé mon conte de Mélibée
et de Prudence et de sa bénignité,
notre hôte dit : « Foi d’honnête homme
et par le précieux corpus madrian[1],
je donnerais bien un baril d’ale
pour que ma bonne chère femme eût entendu ce conte !
car elle est loin d’avoir telle patience
que la femme de ce Mélibée, Prudence.
Par les os de Dieu ! quand je bats mes valets,
elle m’apporte les grandes triques,
et crie : « Tue-les tous, les chiens,
et romps-leur le dos et tous les os ».
Et s’il arrive qu’un de mes voisins
à l’église ne s’incline pas devant ma femme,
ou ait l’audace de lui manquer d’égards,
quand elle revient à la maison, elle me saute à la face
et crie : « Faux couard, venge donc ta femme !
Par les os du corpus ! donne-moi ton coutelas
et toi prends ma quenouille et va filer ! »
Du matin au soir voici ce qu’elle répète :
« Hélas ! » dit-elle, « pourquoi ai-je été destinée
à épouser une poule mouillée, un singe[2] couard,
qui se laisse faire par tout le monde !
Tu n’oses pas défendre les droits de ta femme ! »
Voilà ma vie à moins que je ne veuille me battre ;
et à sortir aussitôt il faut me préparer,
si non je suis perdu, à moins que je ne
sois téméraire comme un lion furieux.