Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/239

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le malheur les rend ennemis, je crois ;
ce proverbe est bien vrai et bien commun.


Zénobie[1].

Zénobie, reine de Palmyre[2],
à ce que les Perses ont écrit de sa noblesse,
était si valeureuse et si hardie
3440 que personne ne la surpassait en bravoure,
non plus qu’en naissance ni autre qualité.
Du sang des rois de Perse[3] elle était issue ;
je ne dis pas qu’elle était la plus belle,
mais en beauté elle ne pouvait être dépassée.

Dès son enfance il parait qu’elle fuyait
les travaux de femmes, et se rendait au bois ;
et elle répandait le sang de maint cerf sauvage
avec les traits aux larges fers qu’elle leur lançait.
Elle était si rapide qu’elle les atteignait aussitôt,
3450 et lorsqu’elle fut plus âgée elle tuait
lions, léopards et ours et les mettait en pièces,
et dans ses bras elle les maîtrisait à sa guise.

Elle osait fouiller les antres des bêtes sauvages,
et courir dans les montagnes toute la nuit,
et dormir sous un buisson, et elle pouvait aussi
lutter de force et de vigueur
avec tous les jeunes hommes, quelque agiles qu’ils fussent ;
entre ses bras rien ne pouvait résister.
Elle garda sa virginité contre tous ;
3460 à aucun homme elle ne daignait être liée.

Mais enfin ses amis la firent se marier
à Odenake[4], prince de ce pays,
encore qu’elle les fit longtemps attendre ;
et vous devez entendre que celui-ci
avait les mêmes goûts qu’elle.
Toutefois quand ensemble ils furent unis,

  1. L’histoire de Zénobie a été racontée par Boccace à la fois dans son De Mulieribus Claris, cap. xcviii, et dans le De Casibus Virorum Illustrium, lib. viii, 6.
  2. Chaucer écrit ce mot Palimerie.
  3. Erreur de Chaucer : elle était de la race des Ptolémées.
  4. C’est-à-dire Odénat II.