Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/261

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qui a de sagesse si grand renom,
bien qu’il nous avise de ne craindre les songes,
par Dieu, on peut lire les vieux livres
de maints auteurs, de plus d’autorité
que n’eut jamais Caton, par ma foi !
qui disent tout le contraire de cette sentence,
et ont bien trouvé par expérience
4170aussi bien de joies que de tribulations
que les hommes endurent en cette présente vie.
Point n’est besoin discuter de ceci ;
les faits mêmes en font preuve.
    Un des plus grands auteurs[1] qu’on lise
dit ceci : qu’une fois deux compains partirent
en pèlerinage, en très bonne entente ;
et advint qu’entrèrent dans une ville,
où y avait telle congrégation
de peuple, et telle disette de logis,
4180qu’ils ne trouvèrent pas même une cabane
où ils pussent tous deux loger.
Ils durent donc, par nécessité
pour cette nuit, se fausser compagnie ;
et chacun d’eux va à une hôtellerie
et prend son logis comme se trouve.
L’un d’eux se logea dans une étable,
au fond d’une cour, avec des bœufs de charrue ;
l’autre se logea assez bien
comme le conduisit la chance, ou la fortune,
4190qui nous gouverne tous de loi commune.
    Or arriva que, longtemps avant le point du jour,
celui-ci rêva dans son lit, où il était couché,
que son compain se mettait à l’appeler,
et lui disait : « Hélas ! car dans une étable à bœufs,
où suis couché, je serai tué cette nuit.
Or, aide-moi, cher frère, devant que je meure ;
en toute hâte, viens à moi », dit-il.
Notre homme, de peur, s’éveilla en sursaut ;
mais quand il fut tout à fait sorti de sommeil,

  1. Ciceron, De Divinatione, lib. 1, c. 27.