Il était, à ce que Tite Live raconte,
un chevalier qu’on nommait Virginius,
homme plein d’honneur et de mérite,
ayant force amis et grande richesse.
Ce chevalier, de sa femme eut une fille ;
point d’autres enfants n’eut en toute sa vie.
C’était une damoiselle belle d’une beauté parfaite,
surpassant toute créature qu’homme puisse voir ;
car Nature, avec un soin suprême
l’a faite de si grande excellence
comme pour dire : « Voyez, c’est moi Nature
qui sais façonner et peindre ainsi une créature,
lorsqu’il me plaît ; qui saura m’imiter ?
Ce n’est point Pygmalion[2], dût-il sans cesse forger ou frapper
ou graver ou peindre ; car j’ose dire
qu’Appelles, Zanzis[3] travailleraient en vain
à graver ou à peindre, à forger ou frapper
s’ils avaient le front de vouloir m’imiter.
Car Celui qui est le Créateur souverain
a fait de moi son vicaire[4] général
pour façonner et peindre créatures terrestres
suivant mon bon plaisir, et tout être est en ma tutelle
sous la lune qui croit et décroît ;
- ↑ L’histoire que va raconter le médecin se trouve, pour la première fois, chez Tite Live (livre III). Il est peu probable que Chaucer ait lu Tite Live lui-même ; il a emprunté son Conte au Roman de la Rose, dans lequel l’histoire de Virginia occupe soixante-dix vers (Cf. édition Méon, 5613-5683). Gower (Confessio Amantis 264-210) a brièvement traité le même sujet.
- ↑ 2. Ovide, Met., X, 247.
- ↑ Zanzis, pour Zeuxis.
- ↑ Ce mot, et la plupart des réflexions contenues dans ce passage, sont pris au Roman de la Rose, Ed. Meon, v. 16379-16970. passim