Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/28

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l’expression de la Nonne exaltée, et cesse d’avoir une vérité impérative en dehors d’elle. C’est moins la vie véridique d’une sainte que la véridique révélation, au moyen de cette histoire, des sentiments d’une religieuse et de l’atmosphère que l’on respire dans un couvent.

Même le sermon final du bon Curé, — tout plein d’une doctrine qu’approuve et révère le poète et qu’il fait exposer par le plus exemplaire de ses pèlerins, — n’apparaît pas moins comme un sermon, c’est-à-dire comme une suite de pieuses paroles qui est longue à l’ordinaire et risque de rendre les gens somnolents, quand nous entendons l’Aubergiste, avant de donner la parole au prêtre, lui recommander d’une voix inquiète « d’être fructueux en peu de temps, car le soleil va se coucher ». Immédiatement se dresse la pensée de la distance qui existe entre les plus belles instructions morales et la capacité bornée de l’humanité commune pour les entendre et s’y soumettre. Et il ne nous est pas interdit de garder en mémoire l’anxiété de « notre hôte » tandis que nous écoutons dévotement le curé de village.

Enfin, dernier pas, Chaucer va jusqu’à nous offrir des histoires dont il nous permet de nous moquer, si même il ne nous invite pas à les juger en soi fastidieuses ou ridicules. Le Moine essaie de compenser sa mine trop fleurie de joyeux veneur, sa carrure de grand « engendreur », en psalmodiant la plus lugubre des complaintes sur la fin tragique des illustres de ce monde ; il est assez cuirassé d’embonpoint et d’indifférence, lui, pour soutenir avec calme le choc de ces infortunes anciennes ; mais le bon cœur du Chevalier souffre et proteste ; l’Aubergiste bâille et déclare que « ce conte ennuie toute la compagnie ». Le chapelet funèbre ne sera pas égrené jusqu’au bout, et le Moine rentrera dans le silence, après avoir par la force soporifique de sa parole rétabli l’opinion de sa gravité dans l’esprit des pèlerins. Chaucer non plus ne pourra pas mener au terme le conte qu’il s’est attribué. L’Aubergiste sensé le rabrouera pour ce qu’il chante une ballade de chevalerie qui rime beaucoup mais ne rime à rien. Sommé de dire une histoire où il y ait moins d’assonances et plus de doctrine, il se vengera de son critique