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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/292

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Mais, oyez, messeigneurs, un mot je vous en prie :
il est certain que les exploits glorieux
dans les victoires de l’Ancien Testament,
par la grâce du vrai Dieu qui est omnipotent,
furent accomplis en l’abstinence et la prière.
Voyez dans la Bible, c’est là que vous pourrez l’apprendre.
Voyez Attila, le grand conquérant,
580qui mourut dans son sommeil, avec honte et déshonneur,
sans fin saignant du nez en son ivresse :
un capitaine doit vivre sobrement.
Et par dessus tout considérez bien
ce qui fut ordonné à Lamuel, —
ce n’est pas Samuel, mais Lamuel que je dis, —
lisez la Bible[1] et vous verrez expressément
s’il faut donner du vin à ceux qui jugent.
Je n’en dis pas plus long car cela peut bien suffire.
Et maintenant que j’ai parlé de gloutonnerie,
590maintenant je vais vous interdire le jeu de hasard.
Le jeu, c’est le vrai père des mensonges,
des tromperies et des parjures maudits,
des blasphèmes contre le Christ, du meurtre et aussi de la perte
de bien et de temps ; et de plus
c’est une honte et un déshonneur
d’être considéré comme joueur vulgaire.
Et plus vous êtes haut placé
plus on ira vous évitant.
Que si un prince s’adonne au jeu,
600lors en tout acte de gouvernement et de politique,
d’après l’opinion commune
il perd d’autant sa réputation.
Stilbon[2], qui était sage ambassadeur,
fut envoyé à Corinthe, en très grande pompe,
de Lacédémone, pour y conclure alliance.
Et lorsqu’il arriva, il advint par fortune,
que les plus grands de ce pays
il les trouva jouant aux dés.
Ce pourquoi, aussitôt qu’il le put,

  1. Proverbes, XXXI, 4, 5.
  2. Appelé Chilon dans Jean de Salisbury à qui Chaucer emprunte cette anecdote. (Polycrat, lib. I, c. 5.)