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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/298

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et leur dit de tirer pour voir où tombait le sort,
et il tomba sur le plus jeune d’eux tous ;
et vers la ville il partit sur-le-champ,
et, aussitôt qu’il fut parti,
le premier parla ainsi à l’autre :
« Tu sais bien que tu es mon frère juré ;
je vais te dire tout droit comment faire ton profit.
810Tu sais bien que notre camarade est parti ;
et voilà l’or, et il y en a grand planté
qui doit être réparti entre nous trois.
Mais pourtant si je pouvais faire en sorte
qu’il fût réparti entre nous deux,
ne t’aurais-je pas rendu un service d’ami ? »
L’autre répondit : « Ne sais comment cela se peut ;
il sait que l’or est avec nous deux ;
que ferons-nous, que lui dirons-nous ? »
« Sera-ce un secret ? (dit le premier coquin)
en ce cas je te dirai en peu de mots
830ce que nous ferons pour mener la chose à bien. »
« Je promets, (dit l’autre,) que certes,
sur ma foi, je ne te trahirai pas. »
« Or ça, (dit le premier,) tu sais bien que nous sommes deux
et que nous deux serons plus forts qu’un seul.
Prends garde quand il sera assis, et aussitôt
dresse toi comme si tu voulais jouer avec lui ;
et je le transpercerai de part en part
pendant que tu lutteras avec lui comme pour rire ;
830et avec ta dague pense à en faire autant ;
et alors tout cet or sera réparti,
mon cher ami, entre toi et moi ;
alors nous pourrons tous deux accomplir tous nos désirs
et jouer aux dés tout notre saoul. »
Ainsi s’accordèrent ces deux coquins
pour tuer le troisième, comme vous m’avez entendu dire.
Le plus jeune, qui s’en allait à la ville,
bien souvent en son cœur roule et retourne
la beauté de ces florins neufs et brillants.
840 « Ô Seigneur ! (disait-il,) s’il se pouvait être
que j’eusse le trésor pour moi tout seul,
il n’est homme vivant au-dessous du trône