Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/314

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est comptée comme l’un de ces quatre fléaux.
Ne se trouve-t-il point d’autres similitudes
qui à tes paraboles offrent comparaisons,
370sans qu’une pauvre femme doive en faire les frais ?
    Tu compares l’amour de la femme à l’enfer,
à la terre stérile où nulle eau ne séjourne[1],
et puis tu le compares encore au feu grégeois,
lequel feu plus il brûle et plus il a désir
375de consumer tout ce qui peut être brûlé.
« Tout comme vers, dis-tu, causent la mort de l’arbre,
tout en même façon femme perd son mari[2] :
ceux-là le savent bien qui sont serfs d’une femme. »
    Et voilà, messeigneurs, comme vous l’avez-vu,
380ce que sans sourciller j’accusais mes maris
de m’avoir dégoisé sous le coup de l’ivresse ;
et c’était menterie, mais j’avais pour témoins
d’une part Janequin et d’autre part ma nièce.
Dieu ! la peine et les maux que je leur fis souffrir
385aux pauvres innocents, par les doux maux du Christ !
Car, comme fait cheval, je savais mordre et geindre.
Si j’étais en défaut, je savais bien me plaindre,
sans quoi, souventes fois, j’étais fort mal en point.
Qui premier au moulin arrive, premier doit moudre.
390Première je geignais, dont s’apaisait la noise.
Ils étaient trop heureux de s’excuser bien vite
de faute qu’en leur vie ils n’avaient point commise.
    De courir cotillons j’accusais mon mari,
quand à peine, malade, il se tenait debout.
395Cela ne laissait pas de chatouiller son cœur :
il croyait, en effet, que je l’avais si cher[3] !
Je jurais mes grands dieux que mes sorties de nuit
étaient pour épier filles qu’il caressait.
Moyennant ce prétexte, je goûtai maint déduit.
400Car tel esprit nous vient quand nous venons au monde :
tromper, pleurer, filer, sont les dons naturels
que, pour toute leur vie, Dieu a donnés aux femmes.
Et je puis sans mentir me vanter d’une chose :

  1. Prov., XXX, 16.
  2. Prov., XXV, 20 (Vulgate).
  3. Cf. Rom. de la Rose, 14435, elz.