j’en eus plus de loisir à prendre mes ébats,
à aller voir galants et à me faire voir
d’iceux, car, sans cela, comment au rais-je su
où, en quel lieu, j’irais octroyer mes faveurs ?
C’est pour cette raison que je fis mes visites,
aux fêtes de vigile, et aux processions[1]
aux prêches mêmement et aux pèlerinages,
aux miracles joués ainsi qu’aux mariages ;
et j’avais sur le dos gaies robes d’écarlate..
Il n’y eut ver, il n’y eut teigne, il n’y eut mite,
j’en jure sur mon âme, qui en mangea un fil :
et la raison ? C’est que robes étaient portées !
Or m’en-vais-je vous dire ce qui lors m’arriva.
Nous étions donc allés nous promener aux champs,
si bien qu’en vérité nous eûmes tels devis,
ce clerc et moi, qu’enfin, par fine prévoyance,
je lui parlai et dis au galant comment lui,
si je me trouvais veuve, il serait mon mari :
car certes, je le dis sans vanité aucune,
je n’ai jamais été sans avoir pourvoyance
de mariage ou bien d’autres choses encore.
Pour moi cœur de souris ne vaut pas un poireau,
qui n’aurait qu’un pertuis pour unique refuge[2],
car, s’il vient à manquer, du coup tout est perdu.
Je fis accroire au clerc qu’il m’avait enchantée[3].
C’était un de ces tours que je tiens de ma mère.
De lui, toute la nuit, j’avais rêvé, lui dis-je :
il voulait me tuer, moi couchée sur le dos,
et mon lit tout entier était couvert de sang.
Et pourtant, je l’espère, il me fera du bien :
car sang est signe d’or, à ce qu’on m’a appris.
Tout était menterie, je n’avais rien rêvé,
mais je suivais toujours les leçons de ma mère
tant en ce point ici qu’en beaucoup d’autres points.
Mais, messire, voyons, qu’allais-je donc vous dire ?…
Ah, ah, pardieu, je tiens le fil de mon histoire.
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