— O Thomas! Je vous dis[1], Thomas ! Thomas !
C’est là l’œuvre du démon, c’est chose qu’il faut amender.
La colère est un vice que le Dieu du ciel défend,
et à ce sujet je veux dire un mot ou deux :
— « Voyons, maître » (dit la femme), avant que je ne parte,
que voulez-vous pour dîner ? je vais m’en occuper. »
— « Mon Dieu ! notre dame, (répondit-il), je vous dis, sans doute[2],
quand je n’aurais que le foie d’un chapon,
et qu’une petite tranche de votre pain tendre,
et après cela la tête d’un petit cochon rôti
(mais je ne voudrais à aucun prix qu’on tuât une bête pour moi),
alors j’aurais chez vous l’humble nourriture qui me suffit.
Je suis un homme qui a besoin de peu pour se soutenir.
Mon esprit a son aliment dans la Bible.
Le corps est en tout temps si préparé et tant se peine
à veiller, que mon estomac est détruit.
Je vous en prie, madame, ne soyez pas fâchée
que je vous ouvre si amicalement mes secrets ;
Dieu sait que je ne les voudrais dire qu’à bien peu. »
— « Encore un mot, monsieur, (dit-elle), avant que je m’en aille ;
mon enfant est mort, il y a moins de deux semaines,
peu après votre départ de notre village. »
— « J’ai vu sa mort par révélation,
dit le frère, au couvent, dans notre dortoir.
J’ose dire que, moins d’une demi-heure
après sa mort, je l’ai vu ravi dans la félicité
en ma vision, Dieu me pardonne !
De même l’ont vu notre sacristain et notre infirmier,
qui sont depuis cinquante ans de bons et fidèles frères ;
ils peuvent maintenant, Dieu soit loué de ses dons !
fêter leur jubilé et aller seuls[3].
Alors je me levai, et tout notre couvent aussi,
bien des larmes coulant le long de mes joues,
sans bruit ni fracas de cloches. ;
nous chantâmes le Te Deum et rien autre,
sauf que je fis à Jésus-Christ une oraison,
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