Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/373

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

120Et bien que votre verte jeunesse fleurisse encore,
vieillesse se glisse sans cesse, roide comme pierre,
et la mort menace tous les âges et frappe’
toutes les conditions, car nul ne lui échappe ;
et si, pour certain, nous savons tous
que nous devons mourir, tout incertains sommes-nous
du jour où la mort tombera sur nous.

Agréez donc les intentions loyales
de nous qui n’avons jamais refusé vos ordres,
et alors, seigneur, si vous y voulez consentir,
130nous vous choisirons femme en peu de temps, tout au moins
née des plus nobles et des plus grands
de tout ce pays, en sorte que ce mariage doive paraître
honorer Dieu et vous, à notre avis.

Délivrez-nous de toutes ces craintes inquiètes,
et prenez femme, pour l’amour du Très-Haut ;
car s’il arrivait — à Dieu ne plaise —
qu’à votre mort votre lignée s’éteignit
et qu’un étranger vous succédât et prit
votre héritage, oh, malheur à nous vivants !
140aussi nous vous prions de vous marier en hâte. »

Leurs douces prières et leur air constristé
inspirèrent la pitié au cœur du marquis.
« Vous voulez (dit-il), miens et chers sujets,
me contraindre à ce que je n’avais jamais pensé faire.
Je me réjouissais de ma liberté,
et rarement on la trouve en mariage ;
alors que j’étais libre, je deviendrai esclave.

Mais cependant je vois vos intentions loyales,
et j’ai confiance en votre sagesse, comme toujours :
150aussi, de ma libre volonté, je consens
à me marier aussitôt que possible.
Mais, comme vous m’avez offert aujourd’hui
de me choisir une femme, je vous tiens quittes
de ce choix, et vous prie de renoncer à cette offre.

Car, Dieu le sait, les enfants bien souvent
diffèrent de ce qu’étaient leurs dignes parents avant eux ;