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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/397

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se rendit à ses ordres, et, se mettant à genoux,
respectueusement et sagement le salua.

« Grisilde (dit-il), je veux absolument
que cette jeune fille que je dois épouser
soit demain reçue aussi royalement
qu’il est possible de l’être en ma maison.
Et je veux aussi que chaque personne, à son rang,
trouve, selon ses droits, place et service
et grand plaisir, au mieux de mes moyens.

960Je n’ai point de femmes capables, je le crains,
de mettre en ordre les chambres
comme je le voudrais : aussi souhaiterais-je
te charger de tout cet arrangement ;
depuis longtemps, en outre, tu connais tous mes désirs :
bien que tes vêtements soient laids et mal en point,
tu pourras, à tout le moins, t’acquitter de ce devoir. »

« Non seulement, seigneur, serai-je heureuse (dit-elle),
de faire comme il vous plaira, mais je désire en outre
vous servir et vous plaire en ma condition
970sans faiblir[1], et ainsi ferai je toujours.
Et jamais, en advienne bonheur ou malheur,
les sentiments de mon cœur ne cesseront
de vous aimer plus que tout, de toutes mes pensées fidèles ».

Et, ce disant, elle se mit à nettoyer la maison,
à placer des tables et à faire des lits,
s’efforçant de peiner le plus possible,
exhortant les chambrières, pour l’amour de Dieu,
à se hâter, à balayer et secouer au plus vite ;
et elle, de toutes la plus laborieuse,
980a mis en ordre les chambres et aussi la grande salle.

Vers la troisième heure arriva le comte,
amenant avec lui les deux nobles enfants :
alors le peuple accourut voir le spectacle
de leur appareil, si richement ordonné.
Et, aussitôt, tous de se dire entre eux

  1. Pétrarque : « Neque in hoc unquam fatigabor aut lentescam…. »