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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/477

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il sembla que tous les rocs eussent disparu.
Aurélius, qui est encore dans le désespoir,
ne sachant s’il aura son amour ou échouera,
attend nuit et jour le miracle.
1300 Et lorsqu’il vit qu’il n’y avait aucun obstacle,
que ces rochers étaient enlevés, jusqu’au dernier,
il tomba aussitôt aux pieds de son maître,
et dit : « Moi, pauvre Aurélius,
je vous remercie, seigneur, et ma dame Vénus,
qui m’avez aidé dans mes soucis glaçants ».
Et vers le temple il dirige ses pas,
où il savait qu’il devait voir sa dame.
Et ; lorsqu’il vit son heure, sur-le-champ,
avec un cœur craintif et un visage très humble,
1310 il salua sa dame souveraine et chère.
« Ma vraie dame (dit cet homme malheureux),
que je crains le plus et que j’aime de toutes mes forces,
et à qui, dans tout l’univers, je voudrais le moins déplaire,
si ce n’était qu’à cause de vous j’ai une telle langueur
qu’il me faut mourir ici à vos pieds, sur-le-champ,
je ne voudrais rien dire du malheur qui m’a saisi,
mais certes, ou bien il me faut mourir ou me lamenter.
Vous me tuez, innocent, à force de douleur.
Mais quoique de ma mort vous n’ayez nulle pitié,
1320 avisez, avant de manquer à votre foi,
avant de me tuer parce que je vous aime.
Car, madame, vous savez bien ce que vous avez promis ;
non que je réclame rien par mon droit
de vous, ma souveraine dame, mais par votre grâce ;
mais, dans un jardin là-bas, à tel endroit,
vous savez très bien ce que vous m’avez promis ;
et dans ma main vous avez engagé votre foi
de m’aimer plus que tous ; Dieu le sait, vous l’avez dit,
1330 tout indigne que je sois de cela.
Madame, je parle ainsi pour votre honneur à vous,
plus que pour sauver en ce moment-ci la vie de mon cœur ;
j’ai fait comme vous me l’avez commandé ;
et, si vous le daignez, vous pouvez aller voir.
Faites comme il vous plaira ; pensez à votre promesse,
car, mort ou vif, vous me trouverez là ;