Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/483

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au milieu de la ville, en plein dans la rue la plus animée,
alors qu’elle se dirigeait tout droit
vers le jardin où elle avait promis d’aller.
Et lui s’en allait vers ce jardin aussi,
car il épiait bien pour voir quand elle irait
de chez elle vers quelque endroit.
Mais ils se rencontrèrent ainsi, par hasard ou providence ;
et il la salua, l’esprit plein de joie,
1510 et il lui demanda de quel côté elle allait.
Et elle répondit, comme si elle était à moitié folle :
« Au jardin, comme mon mari me l’a commandé,
afin de tenir ma promesse, hélas ! hélas ! »

Aurélius commença à s’émerveiller de la chose,
et dans son cœur il lui vint grande compassion
d’elle et de ses lamentations,
et d’Arveragus, le digne chevalier,
qui lui avait dit de tenir tout ce qu’elle avait promis,
tellement il lui répugnait que sa femme manquât à sa parole.
1520 Et dans son cœur il fut saisi d’une grande pitié,
considérant ce qu’il y avait de mieux des deux côtés,
et qu’il lui serait meilleur de se priver de son plaisir
que d’accomplir une vilenie si grande et si grossière,
contre toute noblesse et toute générosité ;
c’est pourquoi en peu de mots il dit ceci :
« Madame, dites à votre seigneur Arveragus,
que puisque je vois sa grande noblesse d’âme
envers vous, et que je vois bien aussi votre détresse,
et qu’il aimerait mieux sa honte (et ce serait grand dommage)
1530 que si vous manquiez ainsi à votre parole envers moi,
j’aime bien mieux toujours être malheureux
que de diviser l’amour qu’il y a entre vous deux.
Je vous remets, madame, entre les mains,
acquittés, tout serment et tout contrat
que vous m’avez faits avant ce jour
depuis le moment où vous êtes née.
Je vous donne ma foi que jamais je ne vous rappellerai
aucune promesse, et ici je prends congé de vous
comme de la meilleure et de la plus fidèle des épouses
1540 que j’aie connue jusqu’ici de toute ma vie.