Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/505

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J’ai piqué ferme (dit-il), à cause de vous,
car je souhaitais fort vous rattraper,
pour chevaucher en si gaie compagnie ! »
Son valet aussi était rempli de courtoisie
et dit : « Messires, lorsque ce matin
de votre hôtellerie je vous ai vus sortir,
590 j’ai averti mon maître et seigneur que voici,
qui est tout désireux de faire route avec vous
pour son déportement, car il aime baguenauder. »
— « Ami, pour cet avis, Dieu te donne bonne chance !
(dit lors notre hôte), car certes il semblerait
que ton maître soit savant homme, et je le crois volontiers ;
il est fort jovial aussi, je parierais.
Pourra-t-il donc conter un joyeux conte ou deux,
dont il puisse réjouir cette compagnie ? »
— « Qui, messire ? Mon seigneur ? Oui, oui, sans mentir,
600 il en sait de joyeux et de plaisants aussi,
bien plus qu’assez ; de plus, messire, croyez-moi,
si vous le connaissiez aussi bien que je fais,
vous admireriez comme bien et adroitement
il sait travailler, et cela de façons diverses.
Mainte grande entreprise a-t-il prise sur lui,
qui pour n’importe quel d’ici serait bien dure
à mener à bonne fin, s’ils n’apprenaient de lui.
Il a beau cheminer simplement parmi vous,
si vous le connaissiez, vous en auriez profit ;
610 vous ne voudriez pas perdre sa connaissance
pour bonne somme, j’en oserais risquer
tout ce que j’ai en ma possession.
C’est un homme de très grand jugement,
je vous en avertis, c’est un homme étonnant ! »
— « Voyons (dit notre hôte), je t’en prie, dis-moi donc,
est-il clerc ou non ? Dis-nous ce qu’il est ! »
— « Oui-dà ! il est bien mieux que clerc, assurément,
(dit le valet), et pour le faire court,
hôte, je veux vous montrer un peu de son savoir-faire.
620 Mon seigneur, dis-je, possède telle subtilité
(mais tout son art ne pouvez le savoir de moi,
malgré que j’aide un peu à son travail)
que tout le sol sur quoi nous cheminons