maintenant j’en suis à porter des chausses sur ma tête ;
et tandis que mon teint était frais et rose,
il est aujourd’hui blême et couleur de plomb.
Quiconque en use ainsi, chèrement l’expiera.
Et pour tout mon labeur, me voilà refait :
voyez quel profit on trouve à « multiplier » !
Cette science fuyante m’a mis tellement nu,
que je n’ai plus nul bien, où que je me tourne ;
et si suis-je endetté tellement par là
pour l’or que j’ai emprunté, véritablement,
que de toute ma vie ne pourrai m’acquitter.
Que tout homme soit averti par mon exemple à jamais !
Quel qu’il soit qui se livre à ce jeu,
s’il continue, je tiens sa fortune perdue.
Aussi vrai que Dieu m’aide, au lieu de gagner
il videra sa bourse et épuisera ses esprits.
Et quand, par sa folie et sa sottise,
il aura perdu son bien à jeu parti[1],
alors il poussera les autres gens
à perdre leur bien comme il fit le sien.
Car pour les pauvres diables c’est joie et soûlas
de voir leurs pareils en peine et souffrance,
comme un jour je l’appris d’un clerc.
Mais n’importe cela, parlons de nos travaux.
Quand nous sommes au lieu où nous devons exercer
notre lutinant métier, nous semblons merveilleusement sages,
tant nous usons de mots savants et curieux.
Moi, je souffle le feu jusqu’à ce que le cœur me faille.
Pourquoi vous dire ici toutes les proportions
de toutes les choses avec quoi travaillons,
comme de cinq ou six onces, peut-être bien,
d’argent, ou telle autre quantité ;
et pourquoi prendre la peine de vous réciter les noms
d’orpiment, d’os brûlés, d’écaillés de fer,
qui sont en poudre broyés bien menu ?
ni comment tout est mis en un pot de terre,
avec du sel dedans, et du poivre[2] aussi,
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