Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/535

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en honneur et en parfait mérite.
Notre Phébus qui était la fleur des bacheliers,
aussi bien en largesse qu’en chevalerie,
pour son divertissement, en signe aussi de sa victoire
sur Python, comme le raconte l’histoire,
avait accoutumé de porter en sa main un arc.
130 Or ce Phébus avait dans sa maison un corbeau[1],
que dans une cage il soignait depuis plus d’un jour,
et il l’avait dressé à parler, comme on dresse un geai.
Blanc était ce corbeau, comme l’est un cygne blanc de neige,
et il savait bien contrefaire le parler de tout homme,
quand il rapportait une histoire.
Avec cela, dans le monde entier nul rossignol
ne pouvait, à cent mille fois près,
chanter d’une voix si merveilleusement plaisante et belle,
Or notre Phébus avait dans sa maison sa femme[2]
140 qu’il aimait par-dessus sa vie,
et nuit et jour se montrait diligent
à lui plaire et à lui faire hommage,
à cela près, s’il faut que je dise vrai,
qu’il était jaloux et aurait bien voulu la garder de près,
car il lui était odieux d’être dupé ;
et c’est le sentiment de tout homme en cette condition ;
mais c’est bien en vain, car les précautions sont de nul effet.
Une honnête femme, qui est pure de fait et d’intention[3],
ne doit pas être tenue en surveillance, assurément ;
150 et, en vérité, c’est un labeur inutile
de surveiller une libertine, car cela ne se peut.
Je tiens que c’est une véritable folie
- de perdre sa peine à surveiller les femmes ;
ainsi l’ont écrit les clercs d’autrefois en leur vie.
Mais maintenant au sujet, tel que je l’ai commencé.
Le noble Phébus fait tout ce qu’il peut
pour lui plaire, supposant par telles plaisances,
et en raison de sa bravoure et de sa conduite,
que nul autre ne le remplacerait dans les grâces de sa femme ;

  1. Corvus, garrula cornix, dit indifféremment Ovide, Chaucer fait de crow un substantif masculin, nous avons donc traduit par corbeau et non corneille.
  2. Ovide la nomme Coronis de Larissa.
  3. Les vers 148-154 sont la traduction d’un passage du Liber Aureolus de Nuptiis de Théophraste cité par saint Jérôme.