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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/73

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Et pour en bref comprendre tous ses maux,
jamais tant de douleur ne souffrit créature
1360vivante, jamais n’en souffrira tant que durera le monde.
Le sommeil, la faim, la soif l’abandonnaient
tant qu’il devint maigre et sec comme gaule.
Ses yeux se creusèrent, horribles à voir ;
le teint jaune et pale comme cendre froide,
il était solitaire et toujours était seul
à gémir toute la nuit et à pousser sa plainte.
Et s’il entendait chanter voix ou instrument,
alors il pleurait et ne pouvait s’arrêter ;
si faibles aussi étaient ses esprits et si bas
1370et si changés, qu’aucun homme n’eût pu reconnaître,
même à l’entendre, sa voix ni son discours.
Et, dans ses manières, à la lettre il se comportait
non simplement en homme atteint du mal
d’Eros, mais plutôt souffrant de la manie
qu’engendre l’humeur mélancolique
en la cellule où, vers le front, demeure la fantaisie.
Et bref était-il tout sens dessus dessous,
tant en manière d’être qu’en caractère,
ce lamentable amant dom Arcite.

1380Pourquoi passerai-je tout le jour à narrer son malheur ?
Quand il eut enduré une année ou deux
son cruel tourment, sa peine et son malheur,
à Thèbes, son pays, comme je l’ai dit,
une nuit, comme en sa couche il dormait,
il pensa que le dieu ailé Mercure
devant lui se tenait et lui disait d’être en joie.
La baguette donneuse de sommeil en sa main se dressait ;
un chapeau reposait sur ses cheveux brillants.
Le dieu était en même arroi (Arcite en fit remarque)
1390qu’au jour où il avait plongé Argus dans le sommeil ;
et il lui parlait ainsi : « retourne à Athènes ;
là est marquée la fin de ton tourment. »

    À ces mots, Arcite s’éveille et saute à bas du lit :
« Or vraiment, si fort dût-il m’en cuire,
dit-il, à Athènes tout droit je vais courir ;