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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/82

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qui combattaient furieusement, tels deux sangliers ;
1700les brillantes épées tombaient de-ci de-là
si terriblement, que le moindre de leurs coups
semblait devoir abattre un chêne ;
mais qui ils étaient, il ne savait mie.
Le duc de l’éperon frappa son coursier
et d’un élan fut entre eux deux
et, tirant son épée, leur cria : « Ho !
finissez, sous peine de perdre vos têtes.
Par le puissant Mars, sur l’heure mourra
celui qui frappe un seul coup, que je puisse voir !
1710Mais dites-moi quels gens vous êtes,
qui avez la hardiesse de combattre ici,
sans juge ni aucun autre officier,
comme si vous étiez en lice royale ? »
Palamon lui répondit hâtivement
et dit : « Sire, qu’est-il besoin de plus de paroles ?
Nous avons mérité la mort, tous les deux.
Deux misérables hères sommes-nous, deux chétifs,
qui sommes encombrés de notre propre vie ;
et puisque tu es de droit seigneur et juge,
1720ne nous accorde ni merci ni refuge.
Donc tue-moi le premier, par sainte charité ;
mais tue mon compagnon aussi bien que moi.
Ou tue-le le premier ; car, encore que tu ne le saches guère
c’est ton mortel ennemi, c’est Arcite,
qui de ton pays est banni sous peine de sa tête,
en quoi il a mérité d’être mis à mort.
Il est celui-là même qui est venu sous ton porche
prétendre qu’il s’appelait Philostrate.
Ainsi t’a-t-il bafoué une pleine année
1730et toi l’as fait ton écuyer-chef ;
et c’est celui-là même qui aime Emilie.
Car puisque est venu le jour où je vais mourir,
je fais tout au long ma confession,
à savoir que je suis le triste Palamon
qui de prison s’est échappé faussement.
Je suis ton ennemi mortel, et c’est moi
qui aime d’un amour si brûlant Émilie la Brillante
que je veux à présent mourir à ses yeux.