Page:Chaudon, Delandine, Goigoux - Dictionnaire historique, tome 15.djvu/76

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… À l’époque où parut la Critique de la raison pure, il n’existait que deux systèmes sur l’entendement humain parmi les penseurs ; l’un, celui de Locke, attribuait toutes nos idées à nos sensations ; l’autre, celui de Descartes et de Leibnitz, s’attachait à démontrer la spiritualité et l’activité de l’ame, le libre arbitre, enfin toute la doctrine idéaliste ; mais ces deux philosophes appuyaient leur doctrine sur des preuves purement spéculatives…… La réflexion errait dans cette incertitude immense, lorsque Kant essaya de tracer les limites des deux empires, des sens et de l’ame, de la nature extérieure et de la nature intellectuelle : La puissance de méditation et la sagesse avec laquelle il marqua ces limites n’avoient peut-être point eu d’exemple avant lui ; il ne s’égara point dans de nouveaux systèmes sur la création de l’Univers ; il reconnut les bornes que les mystères éternels opposent a l’esprit humain ; et, ce qui sera nouveau peut-être pour ceux qui n’ont fait qu’entendre parler de Kant, c’est qu’il n’y a point eu de philosophe plus opposé, sous plusieurs rapports, à la métaphysique ; il ne s’est rendu si profond dans cette science, que pour employer les moyens mêmes qu’elle donne, à démontrer son insuffisance. On dirait que, nouveau Curtius, il s’est jeté dans le gouffre de l’abstraction pour le combler. Locke avait combattu victorieusement la doctrine des idées innées dans l’homme, parce qu’il a toujours représenté les idées, comme faisant partie des connaissances expérimentales. L’examen de la raison pure, c’est-à-dire, des facultés primitives, dont l’intelligence se compose, ne fixa pas son attention. Leibnitz prononça cet axiome sublime : « Il n’y a rien dans l’intelligence, qui ne vienne par les sens, si ce n’est l’intelligence elle-même. » Kant a reconnu, de même que Locke qu’il n’y avait point d’idées innées, mais il s’est proposé de pénétrer dans le sens de l’axiome de Leibnitz, en examinant quelles sont les lois et les sentimens qui constituent l’essence de l’ame indépendamment de toute expérience humaine. La critique de la raison pure s’attache à montrer en quoi consistent ces lois, et quels sont les objets sur lesquels elles peuvent s’exercer. Le scepticisme, auquel le matérialisme conduit presque toujours, était porté si loin que Hume avait fini par ébranler la base du raisonnement même en cherchant des argumens contre l’axiome qu’il n’y a point d’effet sans cause, et telle est l’instabilité de la nature humaine quand on ne place pas au centre de l’ame le principe de toute conviction ; que l’incrédulité, qui commence par attaquer l’existence du monde moral, arrive à défaire aussi le monde matériel dont elle s’était d’abord servie pour renverser l’autre. Kant voulait savoir si la certitude absolue était possible à l’esprit humain, et il ne la trouva que dans les notions nécessaires, c’est-à-dire, dans toutes les lois de notre entendement, qui sont de nature à ce que nous ne puissions rien concevoir autrement que ces lois ne nous le représentent… Quelques mots de la doctrine de Kant ayant été mal interprétés, on a prétendu qu’il croyait aux connaissances à priori ; c’est-à-dire, à celles qui seraient gravées dans notre esprit avant que nous les eussions apprises. D’autres philosophes alle-