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CHARLES GUÉRIN.

neste alternative d’un choix limité dont nous avons déjà parlé plusieurs fois, contribue puissamment chez un grand nombre à augmenter ces dangereuses prédispositions de l’âme et à les livrer pieds et poings liés au redoutable ennemi que nous venons de peindre.

C’est précisément ce qui arrivait à Charles Guérin, dans le temps où M. Voisin cultivait son amitié. Pendant quelques jours, les gracieux fantômes que la lettre de Louise avait évoqués bien innocemment dans son imagination, firent tous les frais de ses rêveries. Une alliance avec Clorinde Wagnaër lui ouvrait en effet une perspective des plus riantes. Il assurait par là du même coup, et son bonheur, et celui de sa famille, et il s’épargnait à lui-même la tâche de défendre contre la cupidité de M. Wagnaër l’héritage paternel, tâche qui lui était dévolue par le départ de son aîné. On sait que, malgré la recommandation de Pierre, Madame Guérin tenait plus que jamais à ses propriétés. L’espoir de la fortune et du repos, et la piété filiale s’alliaient donc à la poésie et au roman pour embellir Clorinde, dont Louise, sa nouvelle amie, n’avait point fait un trop vilain portrait. Clorinde pour notre étudiant fut donc la dame de ses pensées et en son honneur il affronta les études les plus ennuyeuses, et attaqua les articles et les commentaires les plus rébarbatifs de la Coutume de Paris, avec tout le dévouement d’un véritable chevalier.

Cela ne dura point longtemps. Il lui vint à l’idée qu’il serait peu noble de devoir tant de choses à une femme, à la fille unique d’un ennemi de sa famille. Peut-être mademoiselle Wagnaër tiendrait quelque chose du caractère de son père et reprocherait un jour à son mari ce bien qu’elle lui aurait fait. Peut-être l’antipathie de famille ne se dissiperait point tout à fait, et sa mère et sa sœur auraient à souffrir dans leurs affections par la position nouvelle que leur ferait cette union. Combien plus poétique et plus noble ne serait pas un mariage dans