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CHARLES GUÉRIN.

droit de l’étrange conduite de son clerc, qui n’écrivait que très peu, étudiait encore moins, et lui tenait des discours auxquels lui, homme positif, avait de la peine à trouver le sens commun.

M. Dumont était un avocat de la vieille école, honnête, laborieux, modeste, savant, très chérant envers les cliens riches, très indulgent envers les pauvres, et au demeurant le plus intrépide chicanier du barreau. Au physique, c’était un petit homme sec, se redressant de son mieux dans sa petite taille, toujours scrupuleusement vêtu de noir, et cravaté de blanc, vif, gai, spirituel, lorsqu’il n’était point tracassé par les plaideurs, très brusque et très maussade parfois, et aussi intelligent que le donnait à croire son large front chauve, ses yeux brillans, son nez aquilin, et tout l’ensemble de son expressive physionomie.

Il avait été le compagnon d’études, et l’ami intime de M. Guérin, et il prenait le plus grand intérêt aux succès de Charles. Quoique très indulgent pour les erreurs et les folies de la jeunesse, M. Dumont ne les considérait que comme un délassement et une diversion, et il eût volontiers pardonné à son nouveau clerc, quelques escapades, semblables à celles que lui-même avouait avoir commises dans son jeune temps, s’il eût montré quelque goût pour la profession, quelque zèle pour la besogne du bureau… Mais lorsqu’il voyait tous les matins ou plutôt tous les après-midis, M. Charles Guérin arriver à l’étude d’un air soucieux et dégoûté, ne faire d’ouvrage que tout juste ce qu’on lui prescrivait et s’en acquitter très mal, distraire les autres clercs, en leur parlant sans cesse littérature, théâtre, musique, botanique et le reste, se jeter, dès qu’il avait un moment à lui, sur quelque roman qu’il cachait sous son pupitre, M. Dumont hochait la tête et disait : voilà un jeune homme qui ne fera rien de bon.

Il délibéra même s’il n’écrirait pas à Madame Guérin pour l’informer du peu de dispositions que manifestait Monsieur