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CHARLES GUÉRIN.

Lebrun lui répondit sans s’émouvoir. « Ça n’est rien, c’est un tour des jeunesses, qui vous auront trouvé trop fier… on tâchera de savoir qui c’est, et on leur-z-en rendra un pareil. »

Cette aventure, que le brave homme réduisait ainsi à sa plus simple expression, n’en prit pas moins dans le cerveau exalté de notre étudiant les proportions les plus gigantesques. Les remercîmens, nous pouvons dire, les actions de grâces que lui rendait la jeune fille, l’éloge exagéré, mais sincère, qu’elle fesait du courage avec lequel il avait volé à son secours, lui persuadèrent qu’il était son sauveur, et comme tous les sauveurs et tous les protecteurs il s’attacha tendrement à sa protégée.

Les jours qui suivirent, de longues et intimes conversations toujours prétextées par la reconnaissance d’une part, et par le souvenir du danger passé de l’autre, amenèrent enfin le moment où Charles après bien des soupirs étouffés, bien des regards supplians, bien des phrases inachevées, et mille autres réticences, dont nous fesons grâce à nos lecteurs, ôsa dire à voix basse, lentement et mystérieusement comme cela se dit toujours : Marie, je vous aime !…

— C’est-à-dire, que vous croyez m’aimer, reprit la jeune fille sans trop d’étonnement… Combien cela durera-t-il ? Dans cinq ou six jours au plus, vous partirez pour Québec, et la pauvre petite paysanne sera bien loin de vous et de votre pensée.

— Marie !… qui voulez-vous que je vous préfère… vous êtes la première femme à qui je parle d’amour, et je ne vous ai dit ces mots qu’après y avoir bien pensé.

— Certes, il faut y penser aussi !… Savez-vous le toit que vous me feriez si vous me trompiez… combien je resterais triste, délaissée, malheureuse en moi-même, et ridicule pour tous ceux qui devineraient la cause de mon chagrin ?… Je suppose, bien entendu, que je vous aime de mon côté… et que je sois assez folle pour vous le dire…