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CHARLES GUÉRIN.

pensée du temps qu’il’avait perdu, assiégeait son imagination. Qu’avait-il fait depuis le départ de son frère ? Comment s’était-il préparé à remplacer l’appui qui venait de manquer à sa mère et à sa sœur ? Qu’avait-il acquis, et que lui restait-il de tous ses plans, de tous ses rêves, de tous ses travaux ?… Ses travaux ? … hélas, pensait-il, son imagination seule avait travaillé : sa mémoire, cette armoire dont la porte se referme si vite, et qu’il faut tant se hâter d’emplir ; sa mémoire était vide des choses qu’il lui importait le plus de posséder. Il était bien vrai que six mois seulement s’étaient écoulés sur le temps de son brevet : ce n’était qu’un huitième de ses quatre années d’étude… ce n’était rien en comparaison de l’immense carrière qu’il voyait béante devant lui… Trois ans et demi !…… comme cela est long à l’âge de notre héros ! On ne s’imagine pas que tant de jours puissent jamais passer. Mais enfin, se disait-il en lui-même, le commencement décide de tout : et était-ce ainsi qu’il devait commencer ? Était-ce là ce que sa bonne mère devait attendre de lui ? N’avait-il pas manqué au respect, à l’obéissance qu’il lui devait, en entreprenant un voyage sans attendre son consentement ? Et que dirait-elle donc, si elle savait où il en était déjà rendu ? si elle savait que, sans lui dire un mot, il avait déjà fait la folie impardonnable d’engager son avenir d’une manière à peu près irrévocable, irrévocable du moins en honneur et en conscience ! Quelle équipée !… Était-il maître de lui-même pour se jeter ainsi sans plus de réflexions, sans d’autre sauve-garde que la philosophie d’une petite fille, et la profonde expérience d’un étudiant de première année, dans une affaire aussi sérieuse, qui allait décider de son avenir et lui procurer peut-être, en fin de compte, des dégoûts et la misère ?

Ces préoccupations, si Marie avait pu les deviner, n’auraient pas été jugées par elle, bien flatteuses : et même sans savoir au juste ce qui en était, elle fut offensée de la singulière réception